ÉCONOMIE. En 2021, le taux de chômage en Chaudière-Appalaches est passé de 4 % en janvier à 2,9 % en décembre, une bonne nouvelle au premier coup d’œil. Cependant, les employeurs de la région ne le voient pas de la même façon, surtout dans le secteur manufacturier qui peine à attirer des travailleurs.
Dans une région où ce pan de l’économie représente 28 % de son produit intérieur brut (PIB), soit la valeur marchande de tous les biens et services produits en Chaudière-Appalaches, les conséquences du plein emploi sont bien réelles pour les entreprises.
Chez Planchers PG, de Saint-Édouard, les difficultés de recrutement ont un impact direct sur la capacité de production, qui est diminuée, sur les délais de livraison, qui ont augmenté et une surcharge de travail pour les salariés actuels. L’entreprise qui compte plus de 200 travailleurs a plus d’une dizaine de postes à temps plein toujours vacants.
«C’est du jamais vu, nous avons été contraints de mettre un frein à notre développement. Nous sommes frileux à accepter de nouveaux contrats et nous avons abandonné temporairement la fabrication de certains produits», a résumé la présidente-directrice générale de Planchers PG, Anne-Marie Faucher.
Selon une étude réalisée par la firme Deloite pour le compte de la Table régionale des élus de la Chaudière-Appalaches (TREMCA), cette problématique de recrutement dans cette seule entreprise prive l’économie de la MRC de Lotbinière et de la Chaudière-Appalaches de plus de 1 M$ en retombées.
Chez Structure d’Acier Turgeon, de Saint-Narcisse-de-Beaurivage, la problématique ne date pas d’hier. Son président, René Turgeon, éprouve depuis près de cinq ans, de la difficulté à pourvoir des postes affichés, autant spécialisés que journaliers. En 2021, il estime à 2 M$ la valeur des contrats perdus.
Ces problèmes nuisent aussi au processus d’expansion. «C’est plus difficile de faire des affaires. Nous sommes une référence dans le bâtiment agricole au Canada. Nous avons des clients de Toronto aux Iles de la Madeleine. Mais, pour le moment, nous ne pouvons pas prendre d’expansion», a soutenu M. Turgeon.
Immigration
L’embauche de travailleurs étrangers est vue par plusieurs entrepreneurs comme l’une des principales solutions pour se sortir de cette crise. Pourtant, le processus d’accueil est considérablement ralenti par les lourdeurs administratives.
«L’un des problèmes majeurs qu’on a au Québec, c’est que tout doit être fait en double. Il y a le Certificat d’acceptation du Québec qui retarde la demande de plusieurs mois. Les délais au fédéral sont extrêmement longs. C’est de 8 à 10 mois d’attente et même après ça, on n’est pas certain qu’ils soient reçus», a dénoncé René Turgeon.
Il devait accueillir deux travailleurs tunisiens en août dernier. Les délais ont été repoussés à novembre pour finalement apprendre que l’entreprise pour laquelle ils travaillaient ne leur permettait pas de se qualifier pour travailler au Canada. «Je ne les ai pas eus. J’avais planifié des contrats en fonction de leur arrivée», a-t-il déploré.
Anne-Marie Faucher vit aussi le même genre d’incertitude. En mars, Planchers PG doit accueillir quatre travailleurs guatémaltèques, mais elle ne sait toujours pas s’ils arriveront comme prévu.
Robotisation
Chez Planchers PG, les problématiques de recrutement peuvent être atténuées par la robotisation et l’automatisation de certaines parties de la ligne de production. D’ailleurs, des travaux ont eu lieu en décembre et en janvier pour ajouter sept robots à la fin de la ligne de production. Une première phase, en juillet dernier, avait aussi permis de retrancher quelques postes.
Cependant, ce ne sont pas toutes les entreprises qui peuvent compter sur la robotisation. René Turgeon indique que dans son secteur d’activité, qui implique une production sur mesure, il est difficile d’automatiser les opérations. De plus, le processus en soi serait très onéreux.
Autres solutions
Des solutions, il y en a, confirment les deux entrepreneurs. Encore faut-il que le gouvernement soit à l’écoute des besoins des entreprises, pour la plupart des petites et moyennes entreprises (PME). La mise en place de programmes de soutien adaptés aux PME, assouplissements fiscaux pour les travailleurs de plus de 60 ans et la défiscalisation des heures supplémentaires sont au nombre des mesures énumérées par les quelque 300 entreprises qui ont participé à l’enquête de Deloite.
De leur côté, René Turgeon et Anne-Marie Faucher ont aussi travaillé sur ce qu’ils pouvaient contrôler à l’interne. Ils ont amélioré les conditions salariales et les avantages sociaux offerts aux employés afin de les retenir dans l’entreprise.
Un cri du cœur des entreprises
Le 8 novembre dernier, la Table régionale des élus de la Chaudière-Appalaches présentait les résultats d’une étude commandée à la firme Deloite sur les impacts économiques de la crise de la main-d’œuvre.
Plus de 300 entreprises de Chaudière-Appalaches ont participé à l’étude qui a montré qu’en 2021, 2,1 G$ de production manufacturière ont échappé à la région, sans compter des millions de dollars d’investissements non réalisés.
Près de 60 % des entreprises manufacturières de la région ont déclaré avoir abandonné la fabrication de certains produits et diminué la recherche de nouveaux clients, et elles prévoient consacrer moins de ressources dans le développement de nouveaux produits. Jusqu’à 76 % d’entre elles ont eu à refuser des contrats faute de capacité à livrer.
S’ajoutent des pertes de 145 M$ en revenus pour les différents paliers de gouvernement en 2021. De plus, ce sont près de 650 M$ de contributions fiscales annuelles aux gouvernements du Québec et du Canada qui sont mises à risques par la pénurie de main-d’œuvre.