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Lettre ouverte

Un projet d’implantation d’éoliennes hautes de 205 m dans la MRC de Lotbinière. Quelle folie!

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19 nov. 2025 11:01

Un reportage sur un projet monstrueux aux effets sidérants Un reportage de Mme Guylaine Buissière de Radio-Canada diffusé le 1er octobre 2025 [1] m’a littéralement sidéré. Il présentait le projet de la firme Innergex d’implanter des éoliennes hautes de 205 m dans la Municipalité régionale de comté (MRC) de Lotbinière, dont 12 à Saint-Édouard. En lisant cet article, j’ai avalé mon déjeuner de travers et renversé mon café d’une façon spectaculaire, proportionnelle au caractère démentiel d’un tel projet. C’est impensable ! Le sujet m’interpelle personnellement, étant originaire de cette région que je connais tellement et que j’affectionne particulièrement.

Note de la rédaction : Le Peuple Lotbinière n'endosse aucune opinion qui est partagée dans les lettres d'opinion ou ouvertes publiées dans notre section Opinions. Les opinions qui sont exprimées dans ce texte sont celles des auteurs signataires.

Un projet aussi déconnecté que démesuré

Mme Buissière rappelle que la hauteur des éoliennes projetées serait près de deux fois supérieure à celle des premières éoliennes installées au Québec. Des éoliennes hautes de 205 m ! Il faut les imaginer et les comparer avec des immeubles connus... C’est tellement gigantesque que l’édifice Marie-Guyard de Québec (mieux connu sous le nom de Complexe G) a l’air d’un Lilliputien découvert par Gulliver lors de ses célèbres aventures, décrites dans Les voyages de Gulliver, roman publié en 1721 par Jonathan Swift (1667-1745).

On peut aussi penser à la série télévisée Au pays des géants, créée par Irwin Allen [2] (1916-1991) et diffusée entre 1968 et 1970, dans laquelle les héros, toujours menacés, étaient confrontés à de méchants monstres qui mesuraient plusieurs mètres. C’est ce que Lotbinière va vivre bientôt si rien n’est fait pour contrer ce projet de parc éolien aussi fou que totalement démesuré.

Oublions Lilliput et la série américaine pour revenir à cette horrible réalité : des éoliennes de 205 mètres dans un secteur rural habité. C’est vraiment incroyable ! Cette simple image me fait penser au plus horrible des films d’horreur. Le graphique suivant présente bien la hauteur des éoliennes projetées en comparaison avec celle des édifices Marie-Guyard et Ville-Marie.

Source : Reportage de Guylaine Bussière, Des installations d’envergure pour le parc éolien de la MRC de Lotbinière, Info Radio-Canada, 1er octobre 2025. 
 

D’une hauteur de 205 m, pales comprises, les éoliennes prévues dépassent l’édifice Ville-Marie de Montréal de 17 mètres.

Mais à quoi se comparent ces éoliennes monstrueuses en milieu rural ?

Quelle hauteur fait une grange-étable en secteur rural au Québec, et dans Lotbinière en particulier ? Environ 13,7 m. C’est très bas. Nous sommes vraiment au pays des géants d’Irwin Allen et des Lilliputiens de Jonathan Swift.

Les éoliennes prévues par rapport aux constructions actuelles du cadre bâti

Le parc éolien prévu dans Lotbinière est, en fait, celui de la démesure et de la folie totale. Surtout si on compare la hauteur des éoliennes projetées à celle des constructions formant le cadre bâti de Lotbinière en général, et de Saint-Édouard ou de Sainte-Croix en particulier. Voici un peu ce que cela donne :

Type de bâtiment

Hauteur moyenne en mètres

Proportion par rapport aux éoliennes projetées

Silo à grain

34,39

6 fois plus petit

Grange-étable

13,7

15 fois plus petit

Bâtiment d’intérêt patrimonial (comme la maison traditionnelle québécoise)

7,77

26 fois plus petit

Bungalow

5,74

35 fois plus petit

 

Graphique réalisé à partir d’informations communiquées par Michel Boudreau, OAQ, architecte en conservation du patrimoine.
 

Il suffit d’un minimum d’imagination pour comprendre l’impact colossal de ce projet démesuré sur le paysage rural de Saint-Édouard et de Sainte-Croix. Le cadre bâti de ces municipalités est constitué d’édifices de faible gabarit et de bâtiments agricoles au volume modeste, mais tellement bien intégrés à leur environnement, et ce, depuis des générations.

De complexes règlements de zonage régissent, avec justesse, l’usage et surtout la hauteur, la superficie et l’emplacement des nouvelles constructions (ou la modification des immeubles existants) dans le territoire des municipalités, secteurs ruraux compris. Alors, pourquoi permettre l’implantation de ces éoliennes géantes qui, visiblement, dépassent toutes les normes d’implantation et de zonage ?

Les impacts écologiques du transport de ces éoliennes monstrueuses

L’aménagement de telles éoliennes surdimensionnées dans Lotbinière pose de plus un sérieux enjeu écologique, environnemental et de sécurité publique au point de vue du transport. Si l’on prend en exemple le projet Des Neiges – Secteur sud de Boralex (57 éoliennes) dans le territoire non organisé (TNO) de Lac-Jacques-Cartier dans la MRC de La Côte-de-Beaupré [3], l’impact sera considérable.

« Selon Boralex, en date du 25 septembre dernier, 179 convois doivent encore être acheminés à partir du port de Québec d’ici la fin de 2025. »[4]

Dans le cas du projet de parc éolien de Lotbinière, il est facile d’imaginer l’impact du transport par camions des composantes des éoliennes entre l’usine et le site d’implantation.

Le nombre d’éoliennes prévues dans Lotbinière est probablement (du moins, je l’espère) inférieur à celui de La Côte-de-Beaupré. Toutefois, la hauteur des structures du projet de Boralex est de 120 m, ce qui est nettement inférieur à la hauteur des éoliennes prévues par Innergex dans Lotbinière, soit 205 m. Il va sans dire que les pièces (dont le mât, les pales et la nacelle) à transporter sur les routes seront gigantesques et nécessiteront un nombre colossal de transports routiers « hors norme ». La pollution créée par les camions sera tout aussi « hors norme ».

Les impacts sonores d’un tel projet et les impacts sur la faune

Bien que je ne sois pas spécialiste de la question, il est fort probable que ce parc éolien aura des impacts sonores majeurs pour les résidences à proximité ainsi que des impacts sur la faune, notamment sur les oiseaux et les animaux d’élevage. Cet enjeu mérite d’être évalué.

Un projet qui réduit encore la superficie des terres agricoles disponibles

De plus, ce projet insensé va rendre totalement inopérables, jusqu’à la fin des temps, d’excellentes terres agricoles, parmi les meilleures au Québec. C’est vraiment dommage, car malgré l’immensité de notre province, les terres véritablement utilisables pour l’agriculture ne représentent qu’un maigre... 2 % de la superficie du Québec [5]. Un pourcentage véritablement… lilliputien ! Un chiffre aussi bas que vraiment impressionnant !

De surcroît, les agriculteurs québécois font présentement face à des enjeux vraiment très importants qui mettent leur existence même en péril, rien de moins ! Il suffit de nommer les menaces qui planent envers le système de la gestion de l’offre, dans le contexte des négociations à venir touchant l’ACEUM [6], la complexité de la relève familiale à cause de la hausse faramineuse du coût des terres agricoles, les changements climatiques, le coût de la taxe carbone sur les équipements agricoles [7], etc. Il ne faut surtout pas en rajouter en privant les agriculteurs de terres propices à l’agriculture.

Les paysages ruraux : au cœur de l’identité culturelle du Québec

La profession que j’exerce depuis plus de 40 ans m’a donné l’occasion et la chance de parcourir, dans sa quasi-entièreté, le Québec « habité », et spécialement les secteurs ruraux, souvent très peu connus, bien loin des autoroutes et des routes provinciales. Qu’est-ce que ces incalculables kilomètres parcourus m’ont permis de découvrir ?  Des paysages ruraux aussi magnifiques que distinctifs, formant l’identité culturelle de chaque municipalité et, partant de là, celle du Québec tout entier.

Certes, nos sites patrimoniaux déclarés, nos sites patrimoniaux cités, nos immeubles patrimoniaux cités et classés et même certains éléments du patrimoine moderne forment une bonne part du patrimoine culturel du Québec. À ces territoires, ensembles et immeubles s’ajoutent inévitablement les secteurs ruraux, dépourvus, eux, de reconnaissance juridique, mais tellement identitaires et en lien direct avec l’histoire et la culture de chaque municipalité.

Plusieurs des bâtiments antérieurs à 1940 qu’on y retrouve (résidences et bâtiments secondaires que constituent granges-étables, remises, poulaillers, etc.) sont d’ailleurs en voie d’être répertoriés, comme le prescrit désormais la Loi sur le patrimoine culturel du Québec. De tels inventaires révèlent de petits « bijoux » architecturaux et des ensembles distinctifs qu’il convient de préserver et de valoriser, ce qui deviendra impossible si des secteurs se font envahir par les monstres éoliens.

Des solutions possibles

1. Choisir des territoires inhabités et éloignés

La solution la plus simple, et sans doute la plus naïve, consiste à autoriser l’implantation d’éoliennes uniquement dans les zones inhabitées et éloignées des centres urbains et villageois. Tellement vaste, le territoire du Québec offre une infinité de possibilités en ce sens. Certes, les compagnies capitalistes vont apporter des arguments fallacieux et contradictoires du genre « implanter des éoliennes trop loin des grands centres et des réseaux de distributions d’Hydro Québec rend impossible leur rentabilité ». Si les parcs éoliens ne sont pas rentables, tant mieux ! Cela crée une situation favorable à l’essor d’autres types de projets d’économie verte ayant un impact environnemental moindre, notamment l’énergie solaire.

2. Favoriser les fusions municipales

Les dividendes promis aux propriétaires des terres agricoles et aux municipalités par les compagnies comme Innergex se veulent très alléchants. Il s’agit d’un revenu potentiel intéressant pour une municipalité de petite taille, mais il pourrait ne pas toujours être au rendez-vous...

Qu’arrivera-t-il dans dix, vingt ou trente ans, une fois que ces éoliennes nécessiteront entretien, réparation et remplacement ? Au mieux, les promoteurs ne verseront aucun dividende. Au pire, ils pourraient solliciter une participation financière de leurs partenaires, propriétaires terriens et municipalités, afin de contribuer à l’entretien, à la réparation ou au remplacement des éoliennes.

Il subsiste une autre solution pour rendre inutiles ou moins alléchantes les promesses des promoteurs d’éoliennes : les fusions des municipalités de moins de 2000 habitants. Il n’est pas nécessaire d’être détenteur d’un Bacc. en comptabilité ou d’un MBA pour prétendre qu’une municipalité forte de 10 000, 20 000 ou 30 000 habitants dispose d’une assiette fiscale nettement supérieure à celle d’une municipalité de 600, 800, 1000 ou 2000 habitants.

Une nouvelle entité municipale, formée par exemple de 10 municipalités fusionnées, en plus de détenir une force politique accrue, disposerait d’un budget digne de ce nom grâce à une vaste assiette fiscale et à l’élimination de postes similaires au sein de l’administration (ex. : un directeur général au lieu de dix, un maire, un directeur des Travaux publics, etc.).

Dans ce contexte de municipalités fusionnées, les revenus complémentaires comme ceux promis par les promoteurs d’éoliennes deviennent beaucoup moins nécessaires, voire caducs.

3. Imposition d’une taxe québécoise sur les revenus élevés

Il existe une autre solution permettant de favoriser un partage équitable des ressources financières au Québec et de rendre inutiles les dividendes promis par les promoteurs de parcs éoliens. Il s’agirait de développer une version québécoise de la taxe Zucman, un concept élaboré en France par l’économiste Gabriel Zucman qui propose une imposition minimale des grandes fortunes. Bien que controversée, cette mesure mérite une attention certaine. Je cite ici le journal Le Monde, qui l’explique très bien :

« Le principe de cette taxe est un impôt plancher permettant de s’assurer que les foyers fiscaux disposant de plus de 100 millions d’euros de patrimoine contribuent chaque année au moins à hauteur de 2 % du montant de leur fortune. » [8]

Des calculs appropriés permettraient sans doute d’adapter la formule à la réalité socioéconomique du Québec. En résumé, il s’agit d’imposer une taxe aux détenteurs de grandes fortunes, aux revenus très élevés. En somme : faire payer les riches au bénéfice de l’ensemble de la société.

L’application d’une telle taxe au Québec impliquerait une ristourne proportionnelle aux municipalités ayant, par exemple, moins de 20 000 habitants.

Ajoutée aux avantages financiers des fusions municipales, cette taxe rendrait caduques et inutiles les redevances promises par les promoteurs comme Innergex.

Il est bon de rappeler que le populaire Zohran Mamdani, démocrate élu à la mairie de New York le 4 novembre 2025, prévoit dans son programme une solution comparable à la taxe Zucman : une formule taxant les grandes fortunes au bénéfice de la société en général et des plus démunis en particulier [9].

Les énergies vertes

Les défenseurs du projet de parc éolien dans Lotbinière portent bien haut l’étendard des énergies vertes et de leur nécessité. On ne peut nier ce besoin, en effet, mais les projets ne doivent pas se réaliser aux dépens des milieux ruraux identitaires, entraînant destruction totale de paysages, perte de superficie des terres agricoles et la création, dans ce cas-ci, d’un très dangereux précédent (des éoliennes géantes en secteur rural habité).

En conclusion

La prudence s’impose donc devant ce projet éolien démentiel, démesuré et totalement inacceptable.

Aussi, voici nos recommandations :

1. Que le gouvernement du Québec soumette au BAPE le projet de parc éolien dans Lotbinière et les autres projets de parcs éoliens dans les secteurs habités.

2. Que le gouvernement du Québec commande une étude d’impact environnemental sur le projet de parc éolien dans Lotbinière, en ce qui a trait notamment aux impacts sonores, visuels, fauniques, agricoles et sur le cadre bâti en général.

3. Que le promoteur Innergex fasse la présentation de son projet dans chaque municipalité de la MRC de Lotbinière.

4. Qu’un référendum soit organisé dans l’ensemble des municipalités de la MRC de Lotbinière sur le projet éolien prévu.

 

Claude Bergeron, conseiller principal en patrimoine,

Québec



[1] Guylaine Bussière, Des installations d’envergure pour le parc éolien de la MRC de Lotbinière, Info Radio-Canada, 1er octobre 2025. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2196133/innergex-projet-eoliennes-lotbiniere.

[2] Irwin Allen : réalisateur, producteur et scénariste américain, reconnu pour ses films à effets spéciaux.

[3] Boralex, Contexte du projet Des Neiges - Secteur Sud. https://ca.boralex.com/fr/projets-et-sites/eolien-des-neiges-secteur-sud

[4] Félix Lajoie, « Des escortes policières pour les éoliennes », Le Soleil, 8 octobre 2025.
https://www.lesoleil.com/actualites/actualites-locales/la-capitale/2025/10/08/des-escortes-policieres-pour-les-eoliennes-XQ33SZAFTBGU3KIESRAIKS264I/

[5] Site internet de l’Union des producteurs agricoles.  Nos précieuses terres agricoles.

https://www.upa.qc.ca/citoyen/apprendre/lagriculture-au-quebec.  Consulté le 5 octobre 2025.

[6] ACÉUM : Accord Canada–États-Unis–Mexique.

[7] Patricia Rainville. L'Est du Québec. «Les producteurs agricoles étouffés par la taxe carbone». Le Soleil, 31 octobre 2025.

[8] Romain Imbach, Julien Lemaignen et Lara Pino Lerro, « La taxe Zucman sur les très hauts patrimoines et le débat qu’elle provoque : 6 questions pour tout comprendre », Le Monde, publié le 19 septembre 2025 à 17h00, modifié le 20 septembre 2025 à 01h59. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2025/09/19/taxe-zucman-six-questions-pour-comprendre-le-debat_6641888_4355770.html.  Consulté le 5 octobre 2025.»

[9] Louis Blouin, « Zohran Mamdani, prochain maire de New York ? », Tout Terrain, Radio Canada, 26 octobre 2025.

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